Alex Beaupain signe une BO de comédie

L’auteur-compositeur-interprète, à qui l’on doit les bandes originales de nombreux longs métrages réalisés par Christophe Honoré (depuis 17 fois Cécile Cassard jusqu’aux Malheurs de Sophie en passant notamment par Les Chansons d’amour, qui lui valut le César de la meilleure musique), signe la musique du deuxième long de Julien Guetta (Roulez jeunesse), la comédie Les Cadors.

Les Cadors raconte l’histoire de deux frères que tout oppose. Antoine, marié, deux enfants conducteur de bateaux (interprété par Grégoire Ludig), et Christian, célibataire, chômeur et bagarreur incorrigible (auquel Jean-Paul Rouve prête ses traits). Quand Antoine le mari idéal se retrouve mêlé à une sale histoire, Christian le mal aimé, même si on ne lui a rien demandé, débarque à Cherbourg pour voler à son secours… C’est l’histoire de deux frères inconsolés, de deux hommes vulnérables dans l’univers des dockers.

Alex Beaupain, qui sait faire chanter les larmes et les regrets mieux que personne, compose la musique de ce film oscillant entre drame et comédie, réalisé en cinémascope par Julien Guetta.

Sans dire qu’il y a deux films dans le film, Julien Guetta parvient à nous donner la sensation que nous embarquons pour une comédie et que, chemin faisant, des éléments dramatiques s’interposent, comme la tension qui s’installe entre les deux frères. Il m’a semblé que Les Cadors se situait ainsi entre la comédie et le drame, tout en assumant son côté comédie d’aventures. Avec Julien, nous avons aussi pensé au western et à son côté parodique : le western spaghetti. Nous sommes donc partis dans l’idée de faire une musique de western camembert : du Ennio Morricone, mais à Cherbourg ! Une fois que nous avions formulé cette idée, les choses se sont décantées et la musique du film a jailli.

Où il est question de tendresse…

La musique du film est tendre sans doute parce qu’elle est mélodique. La présence de mélodies dans une bande originale m’est chère, car j’aime l’idée qu’en sortant d’un film, on puisse en fredonner les airs. Fatalement, quand on fait de la musique de comédie, il faut lutter contre l’idée qu’elle soit drôle en elle-même. En France, on a toujours en tête des références de grandes comédies populaires et Vladimir Cosma colonise nos souvenirs. Je crois que les airs de guitare solo qu’on entend de temps en temps dans Les Cadors sont des références directes à ce compositeur et notamment à Alexandre le Bienheureux – une référence donnée par Julien. Cette guitare seule crée consciemment ou inconsciemment, pour les spectateurs qui ont vu un jour ce film, un terrain familier et promène la même tendresse.

Des docks et des notes

L’action du film se passe à Cherbourg, dans l’univers des dockers. J’aime ce que ce contexte apporte de graphique à l’image. Cela a quelque chose de très plaisant à mettre en musique, car ces scènes dans les docks sont concrètes, très visuelles et contemporaines. Elles me font penser au New York recréé dans West Side Story : ces grands aplats de couleurs, très géométriques et métalliques. Écrire de la musique pour ces scènes-là est très gratifiant.

Créer ou pas des thèmes

Pour ce film, j’ai voulu éviter des thèmes qui auraient eu une fonction pléonastique. On y entend des thèmes qui fonctionnent par humeur plus que par personnage. Par exemple, un air de tango revient souvent. Le tango à Cherbourg n’a rien d’évident et pourtant, il correspond aux moments fantasques de Christian (le personnage joué par Jean-Paul Rouve), ses concours de gifles, sa sortie de l’hôpital, etc. Ces thèmes accompagnent les humeurs des personnages en évitant d’être schématiques.

Les désirs de Julien

Au départ, j’avais proposé une musique plus lyrique et romanesque à Julien, mais il souhaitait une bande originale moins envahissante. Nous nous sommes dirigés vers quelque chose de rieur dans la musique, afin qu’elle n’alourdisse jamais les scènes. Dans les moments mélancoliques, il fallait rester tendre et mélodieux pour ne pas accentuer le drame. Même chose dans les moments plus comiques : il ne fallait rien souligner.

Les années 1980 sont très présentes, et on entend Catherine Ringer en musique à la fin du film

Je considère que c’est la plus grande interprète de chanson que nous avons en France. C’est la voix la plus intéressante et singulière que nous avons entendue depuis les années soixante-dix. On y entend un mélange de musique contemporaine et de rock, tout en songeant à Édith Piaf et Janis Joplin. Ce mélange dans une seule voix n’appartient qu’à elle. C’est aussi une musicienne, une compositrice inventive. Il est amusant de constater qu’elle a signé des chansons emblématiques de comédies populaires, comme Tatie Danielle et Les Trois Frères, ce qui n’était pas pour déplaire à Julien (fan inconditionnel de la moitié des Rita Mitsouko) pour ce film, qui se conclut par sa voix.

Outre Catherine Ringer, on entend aussi du Philippe Lavil, du Renaud qui rappellent les années 1980. Avec Julien, nous avons vraiment travaillé les sonorités du film afin qu’elles soient subtilement référentielles. C’était un délicat équilibre à trouver, car le film joue sur deux tonalités, grave et légère à la fois. Il fallait trouver le ton juste…

 

Publié le 11 janvier 2023

Compositeur des bandes originales des films de Christophe Honoré 17 fois Cécile Cassard (2002), Tout contre Léo (2002) et Dans Paris (2006), Alex Beaupain sort son premier album, Garçon d’honneur, en 2005. Ce disque inspire à Christophe Honoré la trame de son œuvre suivante, le film musical Les Chansons d’amour, et permet à Alex Beaupain de récolter le César de la meilleure musique originale. Alex Beaupain sort ensuite les albums 33 tours en 2008, Pourquoi battait mon cœur en 2011, Après moi le déluge en 2013, Loin en 2016, Pas plus le jour que la nuit en 2019, jusqu’à Love on the Beat, relecture des chansons de Gainsbourg, en 2021.
Côte BOF, à côté de sa fructueuse collaboration avec Christophe Honoré (La Belle personne en 2008, Non ma fille tu n’iras pas danser en 2009, Les Biens-aimés en 2011, Les Malheurs de Sophie en 2016), on retrouve son nom au générique de Qui a tué Bambi ? (2003) de Gilles Marchand, La Belle vie (2009) de Virginie Wagon, du court La Règle de trois (2011) de Louis Garrel, Brillantissime (2018) de Michèle Laroque, Jonas (2018) et Le Patient (2022) de Christophe Charrier, Claire Andrieux (2020) de Olivier Jahan.